Journal 6.8.1914.

31.07.1914 : L’Allemagne lance un ultimatum à la France et à la Russie.

01.08.1914 : L’Allemagne déclare la guerre à la Russie.

03.08.1914 : Mobilisation Générale en France.

02.08.1914 : L’Allemagne  envahit le Luxembourg adresse  ultimatum à la Belgique.

11.11.1918 : L’Allemagne vaincue est contrainte à signer un armistice à Rethondes.

03.09.1939 : Mobilisation Générale - Les gosses de 1914.1918.

La honte, la captivité  la faim, la maladie, l’exil, cinq années de jeunesse passée.

Et la victoire à Berlin dans l’armée Soviétique.

Journal du 6.8.1914.

Steinlen. Poilus.

 

Génération SACRIFIéE AU XXème SIèCLE

Récit d’un Ancien Prisonnier de Guerre né le 6 août 1914, c’est a dire trois jours après la déclaration de la Grande Guerre 1914 –1918.

Libéré par l’armée Soviétique à BERLIN  le 27 avril 1945.

Le trois août 1914, la Grande Guerre 1914-1918 est déclarée.

Ceux qui vont naître feront partie des classes creuses, et  en l’année 1933 seront soumis obligatoirement à la loi de deux années de service militaire.

Il ne connaîtrons pas de vie familiale. Beaucoup ne connaîtront jamais leur Père mort au Champ d’Honneur, blessé ou gazé.

Au lieu de fréquenter l’école ils devront aider la Mère restée seule à la ferme, débordée de travail et qui pleure souvent. Ils conduiront les vaches au champ et les garderont.

1920 : à 6 ans, ils seront déjà au travail vêtus de pauvres vêtements en dépit d’hivers froid et humides, peu de chauffage à la maison et une nourriture très sommaire. Les moments de repos sont rares et on ne connaît pas les vacances.

1930 : déjà 16 ans, je me souviens du Père KIR qui dans ses réunions clamait l’Allemagne réarme et personne ne fait rien.

1932 : Arrivée de l’Hitlérisme en Allemagne.

1933 : Les gendarmeries recrutent les jeunes pour la préparation militaire. Il s’avère que nous allons manquer de gradés.

J’accepte et passe mon B.P.M. à Vesoul en 1934, nous sommes plus de 200 jeunes.

1935 : me voilà appelé pour le service militaire pour deux années. Le 15.10.1935, je rejoins mon affectation au 3ème R.A.C. à Joigny. Inscrit d’office pour suivre le peloton des élèves gradés je suis nommé brigadier aux grandes manœuvres de la Division Coloniale à Coêtquidant en 1936 (de mai à septembre).

Nommé Brigadier-chef le 13.4.1937

1937 : Je suis affecté chef de pièce à la 3ème pièce de la 17ème batterie lors des grandes, manœuvres de Mailly, Suippes et Mourmelon.

Libéré du service actif le 15.10.1937, je passe en disponibilité avec ma tenue militaire chez moi et suis les cours de sous-officier de réserve à Gray en 1938.

Tank de combat 1936 à la mitrailleuse

Souvenir de mes grandes manœuvres de la division Coloniale à Coëtquidant.

Le 15.10.1935

Me voilà appelé pour le service militaire. Affecté au 3ème R.A.C. à Joigny. Inscrit d’office au peloton d’élèves gradés.

 

C’est un engagé qui fait fonction de chef de plat et la distribution au réfectoire. Le silence est de rigueur, d’aucuns sont désignés pour la propreté des plats et remise au cuisinier, les autres regagnent la caserne au pas cadencé.

 
1935

peloton N° 1

1936

peloton N° 2

 

Chaque matin l’appel à la sonnerie du clairon, les lits doivent être faits au carré et les fenêtres ouvertes avant l’inspection des chambrées. Le chef en est responsable.

Le clairon sonne l’appel à 7 H suivant les ordres. Dans les cinq minutes toute la batterie doit être au garde à vous devant la caserne, en bas, à sa place. Les ordres sont donnés soit pour le départ aux manèges pour les cavaliers ou les corvées. Les jours de manœuvres toute la batterie doit être prête à l’heure fixée. Les quatre pièces d’artillerie (155 court), les caissons, plus de 200 hommes et une centaine de chevaux attelés sont prêts au départ.

Le capitaine arrive à l’heure fixée et donne le départ (attention aux sanctions).

 

La vie d'un élève gradé en 1933 dans la Coloniale

(dans les années troubles de l'avènement d'Hitler en 1933.)

Dès mon arrivée le 15.10.1935 au 3ème Régiment d'artillerie Coloniale à Joigny : 

Né le … lieu de naissance…, profession... Puis chargé comme un âne, pantalon, veste, chaussettes, chemises, godasses, sac de couchage gamelle, bidon enfin toute la vaisselle ( etc. )

Le lendemain en tenue impeccable : page d'écriture, nous sommes noté. Quelques heures après je suis appelé à mon tour au bureau d'un officier qui me signale «canonnier Raillard vous êtes inscrit au peloton des élèves gradés d'office». Je m'explique : je n'ai qu'un petit certificat d'études, j'ai beaucoup d'ennuis. C'est un ordre. Le lendemain avec tous mes camarades, dès les 7h du matin éducation physique, à 10 h instruction sur l'artillerie ou les chevaux et la leçon du lendemain à apprendre. Donc le soir au lieu d'aller faire un tour à la cantine, j'apprends la leçon du lendemain car si je ne l'ai pas appris lorsque nous sommes en cercle 30 hommes à l'instruction et que l'officier me désigne ce n'est pas gai d'être au milieu du cercle sans pouvoir dire un mot.

Puis le manège avec des vieux coloniaux, des fous, 40 à 50 chevaux qui tournent en rond au galop. Souvent sur le cheval avec les fesses en sang, j'avoue que j'en ai vu, c'était très dur

Cheval au galop : il fallait descendre et remonter sans tomber car les autres suivaient derrière. Deux mois plus tard sur 200 plus de 50 étaient soit a l'hôpital soit à l'infirmerie. J'en avais marre et je me suis fait porter raide je suis entré à l'infirmerie. En faisant un peu de zèle des copains infirmiers et le Major m'ont fait passer un stage. Mais mon Lieutenant de batterie ne me voyant pas revenir trouva qu'il y avait quelque chose de louche. J'ai du retourner à la batterie, mon lieutenant Morer, chef des élèves gradés, m'attendait a l'entrée «ah te voilà mon gars tu tirais au flanc». Puis commander des gars qui étaient quelques uns contre l'armée, ce n'était pas facile.

 

 

Infirmerie de Joigny quartier du centre. De gauche à droite : élève gradé en stage Raillard Jean un infirmier, chef infirmier, (blouse blanche) et deux infirmiers.

 

Un jour je ramenais une colonne de 50 hommes qui rentrait des écuries. Je me place en avant et crie : «colonne par deux puis garde à vous, en avant marche» au pas cadencé.

Je donne la cadence «un deux, un deux» pour gagner les grands bâtiments de la caserne, un homme n'était pas. Je crie «Barbe au pas», il murmure «tu me les casses». Je fais la sourde oreille. Puis à l'arrivée «à droite, droite, rompez les rangs». Du troisième étage un officier me fait signe, de suite devant lui «garde à vous» me dit-il.

Base de la discipline

La discipline faisant la force principale des armées, il importe que tout supérieur obtienne de son subordonné une obéissance entière et une soumission à tout instant. Tous les ordres doivent être exécutés sans hésitation ni murmure. L'autorité qui les donne en est seule responsable. Toute réclamation n'est permise que lorsque ceux ci ont été exécutés

 «Repos, avez-vous porté le motif de non obéissance ?» «non», «eh bien c'est moi qui vous le porte, vous aurez trois jours de salle de police et votre permission du dimanche supprimée, une autre fois vous apprendrez a vous faire obéir».

J'ai eu également un adjudant qui m'avait pris en grippe, un peu de jalousie. Il faut avoir les nerfs solides pour résister.

Les petits grades c'est durs car souvent tout vous retombe sur le dos.

Mon Maréchal des logis, qui habitait Joigny (Yonne) non loin des casernes, avait, attenant à son habitation principale, un petit jardin, parfois le dimanche il m’invitait à manger avec sa famille.

Dans l’après midi je me faisais un plaisir de l’aider à jardiner ou d’autres besognes qu’il avait difficile de faire seul.

Mon adjudant Chef, sous les ordres duquel j’étais à la 17ème batterie, n’habitait également pas très loin, naturellement il s’en est aperçu.

Son attitude envers moi s’est dégradée pourquoi ? peut être par jalousie,

Le matin au départ de la manœuvre, il tournait en rond autour de ma pièce et me faisait sans cesse des réprimandes, « votre attelage de devant est mal placé,

«Vous avez des chevaux qui sont mal scellés !» .

Le lendemain c’était ma pièce d’artillerie qui n’était pas propre.

Sur route sans cesse il faisait des va et vient «votre place n’est pas là, vous êtes trop en avant, ou trop en arrière, vous ne surveillez pas vos hommes !».

J’avais les nerfs à bout, mais que faire, répondre ?.

Les revue de détails, il trouvait des histoires partout, un jour il m’a supprimé ma permission du dimanche.

Un autre jour, il a attribué mon cheval à un autre chef de pièce et m’a fait prendre une carne qui n’était pas dressée.

Mon Maréchal des Logis m’a dit «surtout ne lui répond pas, on va l’avoir !».

Quelques jours plus tard j’étais désigné en détachement précurseur aux Grandes manœuvres de Coëquidant.(je ne l’ai jamais revu).

Canon 75. Départ en manœuvre.

 

Camp de Coëtquidant

(Morbihan à 45 km de Rennes) 1936 : grandes manœuvres avec la division coloniale. 21ème et 23ème régiment d’infanterie de Paris. 3ème régiment d’artillerie de Joigny. L’aviation et l’État Major.

 

Pendant toute la manœuvre j’étais éclaireur avec une dizaine de cavaliers chargés de porter les plis, souvent à 20 ou 30 km, boussole en main.

 

C’était assez dangereux, un jour j’ai été désarçonné par une branche de pommier. Mais c’était les bons moments de la vie.

 

Dans le camp se trouvaient des vergers superbes, les fermiers nous offraient de belles bolées de cidre.

LES GRANDES MANOEUVRES : MAILLY SUIPPES MOURMELON en 1937

3ème Régiment d'artillerie coloniale de Joigny

En tenue : le maréchal des logis, son Brigadier Chef (R.J) Au milieu son Brigadier Et les trois cuisiniers en blanc.
Nous avons eu deux jours de repos à Vertus à coté d'Épernay. Le maire nous a laissé le marché couvert pour organiser un bal avec notre musique, un monde fou : nos officiers, le conseil municipal, la troupe et toute la jeunesse de Vertus, les vignerons. Le champagne coulait à flot.

À Mailly un ordre arrive : je suis désigné pour le ravitaillement en pain de tout le camp. Le matin j'ai deux G.M.C. avec chauffeurs et 6 hommes pour gagner les fours de guerre à une vingtaine de km. Un peu novice je surveille le chargement, au retour je fais la distribution dans les cuisines des autres régiments. à la mienne il me manquait 400 kg de pain. Je fais mon enquête : j'apprends qu' ils ne faut pas surveiller avant de partir, tu piques à ta cuisine une dizaine de litres de vin, en arrivant tu donnes cela à un gars et tu vas te promener. Ce que j'ai fait. Le lendemain j'avais 500 kg de trop. Avec le rabiot il y avait d'autres combines. C'est ce qu'on appelle la débrouille !

1937 J’ai beaucoup voyagé, je changeais souvent de travail, soit pour réparer le campement du lendemain, chambres des officiers et des sous-officiers, logement de la troupe dans le village.

Septembre 1937

Libéré du service actif le 15 Septembre 1937 je passe en disponibilité, quitte Joigny avec regret. Mes bons camarades tous comme moi faisant partie de cette génération sacrifiée (classes creuses) les gosses de 14-18. Puis je rentre dans ma petite exploitation agricole en détresse. En pensant à mes dernières manœuvres de Suippes, mes amis et mon cheval. 

à Joigny il y avait trois casernes : la neuve en haut où j'étais, les 16 et 17ème batteries, le parc à matériel, les écuries et le manège ; celle du milieu où étaient les cuisines, la cantine, le réfectoire, la musique trompettes, l'infirmerie, un manège non couvert et l'état major ; en bas sur l'Yonne et la place l’ancienne grande caserne. Les petites manœuvres se faisaient dans les villages voisins et sur le terrain d'aviation. Tous les coloniaux faisaient quelques années à Joigny et repartaient dans nos colonies : les 21ème et 23ème d' infanterie de Paris également. Nous faisions les grandes manœuvres ensembles avec les Malgaches et les Sénégalais.

1938

Que faire ? des amis m'incitent à suivre les cours de sous-officier de réserve à Gray dans l'intention de quitter ce métier d'agriculteur. J'accepte (le dimanche) avec ma moto 4 chevaux « Favor », j'avais 24 ans, je trouve ma fiancée, j'allais être heureux.

1939

Nous faisons des projets tous deux. Nous pourrions accéder à une belle petite place sur Dijon, quitter ma pauvre mère qui a tant souffert de 14 à 18 : non nous ne pouvons faire cela. C'est décidé nous allons nous marier et reconstruire l'exploitation, tout va pour le mieux on s'amuse, on danse, on prépare la date du mariage

le 3.9.1939 : Mobilisation Générale

Adieu veaux, vaches, cochons. à 20 H je rejoins mon affectation : chef de pièce au 223ème R.A.C. à Troyes. Je reviendrai pour me marier avec celle qui m'a attendu cinq années, le 24 juillet 1945.

MOBILISATION GéNéRALE

1939. Appelé au Corps le 3.9.1939 à la suite de la mobilisation, je suis affecté le jour même au 223ème R.A.C.. État-major du 6ème groupe.

J’ai dû quitter immédiatement ma petite exploitation agricole et abandonner ma pauvre mère en pleurs (Veuve de mon père pensionné de guerre à 100%, décédé en 1936 moi même de ce fait pupille de la Nation.

Je saute sur ma moto et après un petit au revoir à ma fiancée, je gagne la gare de Champlitte pour arriver à Troyes le soir même où nous devons former le 223ème R.A.C. à St André les Vergers.

Des camionnettes des « Économiques Troyens »  déjà réquisitionnées, se forment en convois pour transporter les nouveaux arrivés de la gare à leur affectation respective.

L’incorporation se fait vite : né le  …… lieu…, profession….puis : une gamelle, cuiller, fourchette, bidon, quart en fer blanc, le paquetage, tenue militaire etc... 

Soudain, quelle surprise, un gars s’avance vers moi : Bresson Henri de St Seine sur Vingeanne. Un camarade qui fût sous mes ordres comme Brigadier à la 3ème pièce de la 17ème batterie (nous resterons cinq années ensemble).

Le moral était bas, il fallait se réconforter. Certains pleuraient ayant laissé leur bétail en montagne avec des grands parents âgés ou de jeunes épouses avec des enfants en bas âges.

Le lendemain 4 septembre, le 223ème Régiment d’Artillerie Coloniale était formé.

Les agriculteurs de la région nous avaient amené de beaux chevaux. Le matériel était déjà sur place ; des appelés étaient au service de la pièce (canon de 155 ou de 75) . Les Malgaches et les Sénégalais s’occupaient des attelages  ( très corrects et disciplinés ).

Le 17 septembre nous embarquons gare de Troyes, en pleine nuit et avec beaucoup de difficultés et d’accidents, les hommes manquant totalement d’expérience..

Le 18 septembre nous arrivons à Toul, puis Merlebach et prenons position à Forbach.

Tous les villages sont évacués et c’est bien triste. Quelques mois plus tard nous revenons sur St Avold. Il pleut sans arrêt et nous sommes couverts de boue. Puis avec joie nous partons au repos dans les Vosges : région de Vittel et Contrexéville.

Durant mon service actif à Joigny, j’avais suivi des cours de correction de tir au bureau des calculs : un chef de pièce devait dans certains cas graves être en mesure de pointer sa pièce sur l’objectif donné, compte tenu des coordonnées de la pièce et de l’objectif, de la direction des vents donnée par la météo, de la température des poudres, de l’état hygrométrique de l’air, etc... à l’aide de tables de logarithmes et faire les corrections nécessaires pour atteindre l’objectif au plus précis.  

  Quand il le pouvait, l’observatoire donnait les dernières corrections.

 

 

 

Observatoire de tir dans la région de Forbach (de G à D .R.R. et un copain).

Après quelques semaines de repos à Vittel un ordre arrive : on embarque pour Saverne, le col de Lutzelbourg puis après quelques jours de repos à Mittelbronn on prend position à la Chapelle d’Altkich, dans la boue jusqu’au ventre. 

Le 5 février 1940 par un verglas sans pareil et avec beaucoup d’accidents car les attelages n’arrivent plus à retenir les canons de 155 court dans les terrains accidentés, nous faisons mouvement sur Drulingen, Sarrebourg, Haut le clocher.

Durant le terrible hiver 1939 -1940 nous couchons tout habillés dans un abri creusé sous terre. Tout est gelé, y compris le pain et le vin. Nous perdons, en raison du froid, 30 pour cent des beaux chevaux réquisitionnés à Troyes. Notre effectif est réduit au minimum.

Entre temps j’avais été rappelé à l’État-Major pour servir au bureau des calculs. Mais un beau jour mon ancien Lieutenant MORER me fait rappeler.

Que me veut il ?  Alors que je suis au garde à vous dans son bureau il me dit :

«j’ai besoin de toi, il faut que tu reprennes ton ancienne affectation de Chef de pièce à la troisième pièce». Sans oser trop refuser, j’ai attiré son attention sur mes ennuis de famille avec ma mère seule dans sa petite ferme. Je lui ai également fait comprendre que cette affectation était un peu au-dessus de mes moyens. 

Il me répond : «La France est en danger et tu n’as pas le droit de refuser»

Le lendemain je me retrouve à mon poste de Chef de pièce avec des Malgaches et des Sénégalais tout nouvellement affectés qui ne savaient même pas former un attelage.

Ils étaient sérieux et obéissants mais leur instruction m’a donné beaucoup de travail.

Par chance je n’ai pas eu de problèmes avec les vieux coloniaux et les appelés français affectés à ma pièce.

Qui était ce lieutenant MORER ?…Un homme de très grande valeur, sévère mais juste.

Issu d’une grande famille militaire, son père,  lieutenant-colonel des Armées d’outre–mer, avait fait l’objet de plusieurs citations durant la guerre 1914-1918. C’était ce qu’en argot militaire on appelle « un dur »  et j’ai vu souvent le fils se mettre au garde à vous devant le père. Ce jeune lieutenant MORER ne connaissais pas la peur.

Un fait parmi d’autres m’est resté en mémoire : par une nuit noire notre batterie se trouve repérée par l’ennemi qui, par surprise, nous prend sous un feu intense de l’ordre de 20 à 30 obus par minutes. Mon filet cache canon est arraché, tous les hommes sautent dans la tranchée. Mon camarade Boivin est tué dans un buisson. Sauvaget a le casque enfoncé dans le crâne. Dury est tué.

Sans attendre un moment d’accalmie le lieutenant MORER rassemble par coup de sifflet ses quatre Chefs de pièce et nous nous portons aussitôt au secours des blessés .

Lui, sans s’occuper des obus qui continuent à tomber, découpe quand il le faut, des morceaux de chair avec son couteau pour dégager des blessés dans l’attente des premiers secours.

Dans la coloniale il y avait des « dur » et nous étions prévenus.

Le premier qui flancherait serait descendu et celui qui quitterait son poste sans ordre serait considéré déserteur.

Nous sommes dans la région de St DIZIER. Il paraîtrait que les Allemands ont lancé une grande offensive mais nous ne savons rien de précis, ne disposant pas de radio nous sommes en quelques sorte coupés du monde. Subissant des bombardements répétés nous changeons fréquemment de positions en empruntant les chemins de forêt, la circulation sur route étant devenue impossible.

Sur ces chemins forestiers nous rencontrons beaucoup de soldats débandés issus de toutes les armes. Beaucoup ont abandonné la ligne Maginot sans ordres et ne savent où aller.

Nous ne comprenons pas cette situation proche de la déroute.

Ces faits se situent autour du 10 juin 1940, alors que les troupes allemandes étaient déjà aux portes de Paris, ce que nous ne savions pas !

Nous nous replions sur PIERREFITTE-MONFAUCON. Des villages brûlent de tous côtés.   

On se remet en position à MONTENOY et nos batteries tirent sans arrêt.

Les allemands ripostent, ça va mal. Des chevaux effrayés s’emballent, les peureux nous quittent et notre effectif se trouve réduit de moitié : il n’est plus possible d’exercer un commandement efficace.

Le 11 juin nous sommes à CHAMPIGNEULE , tous les villages que nous traversons sont pillés, sur les bas cotés de la route gisent des morts et des chevaux éventrés.

Le lieutenant MORER est toujours avec nous et essaie de nous remonter le moral.

Nous nous remettons en position à SUIPPES. Il nous demande de tenir encore 24 heures puis nous donne l’ordre d’incendier et de détruire tout le matériel. Avec des copains on creuse un trou au pied d’un sapin pour y enfouir la culasse de notre canon.

Je me rappelle que ce lieutenant MORER nous a dit « la guerre n’est pas finie, elle commence ». Il était dans le vrai car deux ans plus tard j’ai pu voir à BERLIN des trains de matériel Français partir sur le front RUSSE. Probablement STALINGRAD.

Avec beaucoup de peine nous nous sommes séparés de nos chevaux en les remettant en liberté en rase campagne, puis nous sommes partis avec nos mousquetons sans trop savoir où aller. Nous perdons notre Lieutenant dans les forêts de TOUL ? et plus tard j’apprendrai qu’il s’était évadé d’Allemagne et avait rejoint les troupes du Général de Gaule en Afrique du Nord .

Nous restons une vingtaine de camarades et arrivons au village de POUSSEY. 

Le Maire veut nous donner des vêtements civils et nous garder pour aider aux travaux de fenaisons. Nous refusons et partons sur Vézelise. Les rues sont pleines de troupes en débandades. Trente avions italiens piquent sur la ville, un camion de munitions explose, des maisons s’écroulent, il y a des morts et des blessés.

Nous nous engouffrons dans une entrée de cave ou se trouvent des femmes et des enfants qui pleurent et crient.

Nous quittons VEZELISE et suivons une voie ferrée pour arriver dans un petit village rempli de troupes en débandades. Nous sommes encerclé par la cavalerie allemande et un officier fait hisser le drapeau blanc. Un gradé allemand s’avance et nous crie : «krieg finie». L’Armistice serait signé, nous sommes le 22 juin 1940. Nous croyions appartenir à la plus belle armée du monde et nous voici vaincus et honteux. Plus de un million six cent mille soldats sont fait prisonniers et vont partir en captivité en Allemagne pour cinq années.

 

LA CAPTIVITé

Les Allemands nous rassemblent et nous parquent dans un pré clos.

Nous sommes des milliers et dès le lendemain, par étape de 50 à 60 Km, nous arrivons les pieds en sang à VAUCOULEURS, parqués comme des animaux, nous restons les quatre premiers jours quasi sans manger. Puis les jours suivants nous aurons un kilo de pain pour douze hommes et un quart de bouillon d’os.

Il n’y a qu’un petit robinet d’eau qui coule comme à regret, aussi faut-t-il faire la queue durant plus d’une heure pour enfin emplir son petit récipient.

Durant cette période plus ou moins organisée, les Allemands étant débordés par le nombre de prisonniers, il était possible de s’évader en prenant quelques risques ; quelques uns l’ont fait mais les Allemands savaient nous conditionner : une dame soit disant de la Croix Rouge venait dans le camp nous informer : «Des accords viennent d’être signés  vous allez être démobilisés et vous pourrez rentrer dans vos familles avec des autorisations en règle et ceux qui n’auront pas ces pièces seront considérés comme déserteurs et pourront être renvoyés en Allemagne». 

Nous avions également des prêtres qui nous remontaient le moral et célébraient des messes en plein air ; et c’est là que j’ai eu la joie de retrouver mon camarade Henri Bresson.

Celui qui n’a pas connu la faim ne peut se rendre compte de la souffrance qu’elle provoque.

C’est comme une barre de fer rouge que l’on vous enfonce dans le ventre. 

à notre arrivée dans ce camp de VAUCOULEURS il y avait beaucoup de buissons, mais à notre départ il ne restait rien, nous avions tout mangé. Et ce sont les petites racines qui sont les meilleures bien propres, coupées en petites rondelles bien fines, elles soulagent l’estomac.

Nous étions couchés à  même la terre sans le moindre abri et nous avons subi la pluie sans arrêt. Pour la plupart nous étions atteints de diarrhée et parfois faisions du sang.

Je n’y échappe pas et je suis dans un état de faiblesse sans pareil .

Pour aller aux feuillées (petites tranchées de 20 centimètres de large sur cent mètres de longueur creusée à une extrémité du camp) nous nous réunissions à plusieurs camarades pour y aller car des Malgaches et des Sénégalais qui mouraient de faim, la rumeur voulait que des blancs aient disparus.

Vers le 28 juillet 1940 nous quittons VAUCOULEURS pour être encasernés à REMILLY.

Durant le déplacement nous sommes bien encadré, ce n’est pas bon signe.

En passant dans les villages des pauvres femmes nous jettent du pain et pleurent en nous voyant nous battre entre camarades pour essayer d’en attraper un morceau.

Les Allemands nous laissaient entendre que nous allions rentrer dans nos familles.

Nous n’avions plus la force de tenir debout, ni même de pleurer : on mange de l’herbe, des racines et de la viande de chevaux morts depuis plusieurs jours. Les cuisines sont installées en hâte et nous avons droit à des soupes d’os, mais le ravitaillement ne suit pas et les Allemands sont dépassés.

Les souffrances sont atroces et certains sont morts de faiblesse.

Le 30 juillet 1940, nous embarquons par milliers dans des wagons à bestiaux, entassés à plus de 50 par wagon, serrés à ne pouvoir remuer et les portes sont cadenassées.

Nous sommes impatients de connaître la direction que nous allons prendre.

J’étais célibataire mais beaucoup n’étaient pas dans mon cas. Plus âgés ils étaient inconsolables en pensant qu’ils ne reverraient peut être jamais leur épouses et leurs enfants. Le convoi roule doucement en direction de l’Est. Et le 31 au matin le soleil est superbe. Un camarade placé près des barreaux d’un vasistas d’aération nous crie ; SEDAN ..SEDAN !..

On meurt de faim et de soif, chacun fait ses besoins comme il peut dans le wagon, c’est une infection, on se demande si nous n’allons pas crever là-dedans.

Le 3 août 1940 j’ai 26 ans. A l’entrée de la nuit nous arrivons à BERLIN.

On nous regarde comme si nous étions des bêtes fauves. Les allemands qui croyaient la France si riche ne voient qu’une armée de déguenillés, sales, en bandes molletières et des souliers percés, alors que toute l’armée allemande est chaussée de belles bottes en cuir.

Nous avons honte, certains nous crachent dessus, d’autres nous sourient et nous font bon accueil. Puis nous quittons la Stettine-Banhof (gare de l’Ouest) pour gagner, dans ce superbe métro de BERLIN, la gare de l’Est (Hanhalter-Banhof) et c’est vers 15 heures que nous arrivons à LUKENWALDE (camp de triage des prisonniers de guerre des quatre zones de BERLN  A.B.C.D). C’était un ancien camp de l’armée allemande (champ de tir)

Composé d’une centaine de baraques en planches  destinées au logement des troupes.

Nos gardiens nous font accoler l’un contre l’autre, ce qui ne nous laissait qu’une toute petite place pour nous coucher sur le coté l’un a coté de l’autre

Dès les sept heures du matin nous étions astreints à l’éducation physique et ceux qui tombaient étaient jetés  sur le côté pour laisser place aux résistants.

Répartis par groupe de vingt, les chefs de groupe, pourvus de baquets en fer blanc s’emboîtant l’un dans l’autre, devaient, vers midi, se placer devant les rampes des guichets et suivre le sens de la distribution. Dans le premier baquet était déversé de la soupe d’os, dans le deuxième un mélange de feuilles de rutabagas ou de betteraves avec un peu de pommes de terre, plus une boule de pain noir à partager entre les vingt hommes.

Inutile de préciser que lorsque le Chef de plat arrivait devant sa bande d’affamés, son rôle n’était pas facile.

La chaleur est terrible et nous sommes dévorés par les poux et la vermine.

Les épidémies se déclarent et tout particulièrement les diarrhées. Je n’y échappe pas et fais le sang comme beaucoup de camarades. Nous n’avons plus la force de nous tenir debout. Nous sommes d’une maigreur extrême, il ne reste que la peau et les os.

Je suis transporté à l’infirmerie et couché en plein soleil nous sommes des centaines à attendre notre tour d’être visité.

DERRIERE LES BARBELES

 Fait prisonnier de guerre le 22 juin 1940

(il paraît que l’armistice était signée)

Cliché Joigny Octobre 1937 Poids 70 kg

 

Septembre 1940

Berlin : commando de travail. Mes forces reprennent, de 46 à 50 kg.

Mai 1942 dans les jardins de l’hôtel.

Je suis en bonne santé.

J’en ai volé du lait et bouffé des patates !

Le camp de la souffrance...

Parqués comme des animaux, des étapes de 40 à 50 km par jour, les pieds en sang ; On pouvait s’évader, prendre les risques d’un coup de fusil alors que les dames, soi-disant de la croix rouge, nous remontaient le moral en nous disant : «vous allez rentrez dans vos foyers avec votre feuille de démobilisation (donc non déserteur)».

Enfin, arrivée à Vaucouleurs. Des dizaines de milliers d’affamés : soupe d’animaux morts. Le cuistot, était le camarade HUOT de Mirebeau (boucherie). Nous avons mangé de l’herbe et les racines des buissons.

Le 30 juillet 1940, embarquement à Lérouville. Le 3 août j’ai 26 ans, nous arrivons à Berlin puis au camp de triage de Luckenwald

Vers midi mon camarade Henri Bresson ne me voyant pas revenir vient à ma recherche et se renseigne auprès d’un infirmier qui lui dit ; « Ce gars là, s’il reste ici il est foutu, Il faudrait le faire partir en Commando de travail dans une ferme pour qu’il puisse boire du lait ». Sachez que chaque matin une charrette passait dans le camp pour y ramasser les morts de la nuit. Ils étaient enfouis au fond du camp dans une fosse commune et recouverts de chaux.

Une croix dite «Croix de LUCKENWALD» a été élevée sur cet emplacement en souvenir de nos camarades décédés (voir le cliché pages suivantes). Un monument Soviétique se trouve à quelques mètres de la Croix Française. C’est un très beau monument en pierre, gravé de la faucille et du marteau (en 1989 il était interdit de faire un cliché, mais la secrétaire de Mairie m’a laissé libre pour la Croix Française).

Dans ce camp nous étions trop nombreux et en dépit de leur don d’organisation les Allemands étaient dépassés.

Il ne leur était plus possible de soigner tous les malades et ne voulaient prendre la responsabilité de les diriger sur les Commandos de travail dans la crainte d’étendre les épidémies sur BERLIN.

Ce camp de Luckenwald était camp de triage en vue de répartition dans les diverses zones de la région Berlinoise et de sa grande banlieue.

En ce qui me concerne une décision est urgente. Des camarades me conseillent de rester et me promettent de m’aider car le risque est grand. Vu la précarité de mon état de santé, si je tombe dans un mauvais Commando ce sera probablement la fin.

Soudain Henri Bresson arrive tout joyeux et m’annonce que son copain qui travaille au bureau des départs vient de le prévenir qu’à 15 heures un petit Commando de 20 P.G. doit partir en agriculture. Il lui a expliqué ; «ton copain doit se cacher dans le bâtiment en face et au moment où le gardien viendra prendre possession de son ordre de départ, il devra se glisser dans la colonne sans être vu». Il n’y a pas un moment à perdre, les copains apprêtent mon sac. Je vais donc partir en situation irrégulière ne possédant pas d’autorisation et n’étant passé ni à la désinfection ni à la vaccination.

Au camp je serai très certainement porté disparu avec toutes les conséquences que cela peut impliquer. Néanmoins ma décision est prise, qu’importe ce qui arrivera. Et ce serait mal de ma part de refuser toutes les démarches faites par mes camarades pour m’aider.

Il est 15 heures et nous sommes le 20 août 1940. La colonne arrive au pas cadencé

Un grand gardien qui n’a rien de sympathique fait stopper sa troupe face au bureau de police. Je suis à mon poste caché derrière une fenêtre, personne ne m’a remarqué. Le gardien entre au bureau. Assis sur le rebord de la fenêtre, je me laisse glisser, m’infiltre dans la colonne et je m’assoie.

Le gardien revient et nous fait remettre en rangs pour nous compter. Il compte et recompte  plusieurs fois, rouspète car il en trouve un de trop, regarde sa montre, puis dans la crainte de manquer son train fait signe à la colonne de démarrer.

Arrivée à la gare de LUCKELWALD. Il nous fait monter dans un wagon qui sera cadenassé.

Quelques heures plus tard nous arrivons à la Stettiner Banhof. Nous sommes minables, des civils semblent nous regarder avec compassion alors que d’autres se montrent moqueurs. Nous traversons BERLIN en métro pour gagner l’Handhalter Banhof.

Le soir nous arrivons au petit village de Sommerfeld, à proximité du camp de concentration de Saxenhausen dont nous ne connaîtrons l’existence que beaucoup plus tard.

La région est boisée avec de grandes forêts de sapins qui abritent les grandes usines d’aviation Heinkel-Werk où travaillent les déportés du camp de Saxenhausen, des prisonniers de guerre Polonais et Français ainsi que beaucoup de jeunes Ukrainiennes déportées et âgées de quinze à vingt ans .

Dans ce village se trouve également un très beau sanatorium qui donne des soins aux malades de la région Berlinoise dans un superbe parc d’une dizaine d’hectares boisés avec promenades et plan d’eau .

Nous arrivons à la nuit tombante, on nous installe dans une pauvre cabane (ancienne écurie à bovins) transformée à la hâte pour nous recevoir, mais propre (environ 25 m2 pour 20 hommes), six lits à trois niveaux construits en planches de sapins, fond grillagé, deux couvertures, et sur le coté une petite planchette destinée au rangement des objets de toilette et d’une photo de famille.

Notre arrivée fait sensation dans le village et nos futurs employeurs très sympathiques s’empressent de venir pour pouvoir choisir les plus forts. Le Chef des agriculteurs surveille car en Allemagne partout il y a un Chef.

Enfin par gestes ils nous demandent si nous savons manier une faux ou traire les vaches.

Après quelques disputes entre eux et tractations, ils repartent, chacun avec le prisonnier choisi, afin de lui donner un premier repas avant le coucher.

Comme il y avait un homme de trop et que personne ne m’avait choisi, étant donné mon état pitoyable, je suis resté seul dans la baraque. Le gardien très ennuyé et ne sachant que faire de moi s’adresse au responsable des agriculteurs afin de résoudre mon cas.

Une heure plus tard arrive un homme d’une soixantaine d’année qui parle quelques mots de Français.

Il me dit en souriant «Viens avec moi, j’ai fait VERDUN et je connais la misère !». Je le suis, 200 mètres plus loin nous entrons dans le plus bel hôtel du village. Il me conduit à la cuisine me disant «mange à ta faim mais fais vite, car il faut coucher».

J’avais difficile de manger, çà ne voulait pas passer. Il me reconduit au poste de police où le gardien attendait pour cadenasser la cabane. Pour la nuit nous avions un seau pour faire nos besoins et chaque matin à l’ouverture nous pouvions aller au W.C. qui se trouvait à l’extérieur.

Dans une petite cour d’environ 20 mètres sur 20 mètres et entourée de fil  barbelé où nous avons passé nos dimanches durant deux années, à partir de 1942 les allemands nous ont laissé un peu plus de liberté. (de deux gardiens l’un est partit sur le front Russe).

Chaque matin nous avions nos deux gardiens, puis en 1942 un seul qui nous rassemblaient en rang et la colonne faisait le tour du village pour laisser chaque prisonnier à son employeur. Ils procédaient de même le soir, pour les reprendre et les ramener au cantonnement.

J’effectuai donc ma première journée de travail en tant que prisonnier le 21 août 1940.

Je me trouvais un peu honteux de n’avoir pas la force de travailler. Tous ceux qui m’entouraient essayaient par gestes de me poser des question et il m’était difficile de me faire comprendre. Dans cette ferme hôtel il y avait le Chef, son épouse, la fille aînée célibataire, la cadette née en 1914 était mariée à un officier qui combattait sur le front Russe, un servante déjà  âgée qui s’occupait des chambres des clients, car beaucoup de Berlinois venaient rendre visite à des malades se trouvant au Sanatorium.

Le personnel de la ferme avait été remplacé par des déportés Polonais et Ukrainiens. Le cheptel comprenait environ 40 bovins, des chevaux de trait, des poulinières ainsi qu’un poulailler et une petite porcherie.

Tous ce personnel me demandent comment l’armée française a pu être vaincue en quelques jours ; j’en suis un peu honteux, surtout devant les Polonais qui se sont battus si vaillamment et ont perdu presque le quart de leur population.

Il me semble qu’ils ont pitié de moi et se comportent de façon sociable. Quand le Chef leur demande si le Français travaille bien, il s’empresse de répondre par l’affirmative alors que souvent ils me laissent me reposer ou dormir dans le champ.

Nous commençons l’arrachage des pommes de terre, un Polonais a demandé au Chef s’il pouvait atteler un cheval à une charrette pour m’emmener dans le champ ce qui m’a bien soulagé.

Il est vrai qu’en raison de ma faiblesse il me fallait plusieurs arrêts pour parcourir un kilomètre. Enfin les jours passent  et je reprends peu à peu quelques forces. Matin et soir nous procédons à la traite des vaches. Les Polonais m’avaient donné en cachette un petit verre que je dissimulais dans ma poche et qui me permettait de boire de temps à autre un peu de lait. Je sentais mes forces revenir.

Une pièce spéciale avec guichet était réservée au personnel de la ferme. Le matin à l’arrivée nous percevions une tartine de graisse et un café d’orge grillée. Il en était de même à dix heures. A midi c’était la soupe de pommes de terre. A seize heures nous avions quinze minutes de repos et une tartine. Puis vers dix-huit heures une soupe de légumes.

J'ai toujours beaucoup de dysenterie, j'en souffre beaucoup cela me fatigue et je marche difficilement car mes jambes me supportent difficilement. à la ferme, vu mon état de santé, le patron qui avait fait Verdun, aimait bien me parler de cette sale guerre, lui aussi en avait bien souffert dans les tranchées et me parlait de la France. Il me semblait qu'il avait un peu pitié de moi, et me donna un travail s'adaptant a mon état de santé. Je m'occupais donc des jeunes bovins qui d'aucun avaient de la dysenterie.

La voisine, une dame très âgée, dit un jour à mon chef :  «Autrefois lorsque cela nous arrivait nous allions cueillir des graines de choux gras et nous faisions une tisane à boire trois fois par jour». Nous en avons bien rit. Enfin essayons, on verra bien ! La servante de l'hôtel a confectionné ce breuvage et j'ai commencé le traitement puis au bout de quelques jours je me suis rendu compte d'une nette amélioration de mes animaux. Ce breuvage était parfumé, d'un goût assez bon. J'ai donc commencé à en boire avant mes veaux et j'ai constaté une bonne amélioration de mon état de santé. Et cette brave dame très heureuse du bon renseignement en a bien ri.

Le dimanche à midi nous avions un petit dessert (crème vanillée). Et les grandes fêtes (Noël, Pâques, etc.) c’était un gâteau de cinq à 6 centimètres d’épaisseur confectionné à partir de différentes farines sucrées (spécialités de la région) et l’ont ne mangeait que cela pendant deux ou trois jours (mode du village et région).

Tous les soirs, après le travail j’apprends l’allemand. Mes camarades travaillant dans des petites fermes, à la boulangerie et la boucherie etc. Souvent seuls avec des personnes âgées puisque tous les hommes sont sur le front Russe. A l’hôtel, je suis en contact avec beaucoup de monde et j’ai beaucoup de difficultés pour me faire comprendre.

Je me suis procuré un petit dictionnaire « Franco-allemand) et j’ai la chance d’avoir comme camarade de travail un jeune Polonais «Le petit Fatsec» qui parle un peu l’allemand et m’a bien aidé pour la prononciation.

Durant leur temps de repos mes camarades jouent aux cartes ou lisent alors qu’avec mon dictionnaire j’arrive à me faire comprendre en début de l’année 1941.

Au camp de Luckenwald j’avais été porté disparu et mes parents avaient fait demander des explications. J’avais peur d’y retourner. Le gardien connaissait mon nom mais ignorait mon numéro matricule.

Après plusieurs interrogatoires, je me suis décidé à présenter la petite plaque de tôle que tout prisonnier recevait à l’arrivée «Stalag III A-N°32832» et tout est rentré dans l’ordre.

Par la suite j’ai appris par une première lettre la joie de ma famille et ma  fiancée lors de la réception d’une lettre venant de Paris leur annonçant que je me trouvais en bonne santé au Stalag III A à Luckenwald (copie de cette lettre page suivante )

Presque toutes les nuits nous avons des alertes et quelques bombes tombent dans les forêts avoisinantes. Ce n’est que le commencement et durant l’hiver 1942-1943 les bombardements s’accentuent. Des projecteurs fouillent le ciel et quand ils arrivent à prendre un avion allié dans leur faisceau, les chasseurs allemands et la D.C.A. interviennent et parfois l’abattent. Avec les fusées éclairantes le ciel est en feu.

Chaque nuit le journal et la radio font état de 10, 30 ou 40 appareils ennemis abattus. C’est vrai mais le lendemain ils en revient le double.

Les aviateurs en perdition sautent en parachute et sont fait prisonniers, ils sont rassemblés au poste de police du village. Ce sont souvent des Canadiens vêtus de cuir et disposant autour de la ceinture d’un équipement formidable (cigarettes, chocolat, ration de survie etc...)

Les paysans allemands en sont stupéfait et cela nous amuse.

Quelquefois dans les forêts nous trouvons de beaux parachutes ce qui donne du travail aux couturières qui confectionnent de belles robes aux jeunes déportées Ukrainiennes qui le font teindre selon leur goût. (Le marché noir se met en marche)

Je me rappelle que ce n’est qu’au début de l’année 1941 que nous avons reçu les premières lettres de nos familles. Après 10 mois d’attente quelle joie de recevoir une lettre de la France, de sa famille, de sa fiancée qui pense toujours à vous.

Nous recevons aussi les premiers colis du gouvernement Français. Ils contiennent généralement 100 biscuits de guerre, du chocolat, puis des boites de conserve un peu de tabac ou cigarettes. Les allemands sont furieux car ils aiment le chocolat et en Allemagne c’est introuvable.

Par la suite nous recevons des colis venant de nos familles : du fil pour repriser nos chaussettes que l’on dit au gardien mais à l’intérieur de la  pelote il y a un petit mot secret.

Les alertes deviennent de plus en plus fréquentes et dans le faux Berlin sur le passage de l’Angleterre, Oranienbourg, à 1km de Saxenhausen.

Une certaine nuit nous étions 17 enfermés dans notre cabane. Vers minuit les quadrimoteurs lançaient leurs premières bombes.

Notre gardien du genre froussard se sauva dans une cave nous laissant enfermés dans la baraque. Nous avons eu très peur, la toiture s’envola mais notre plafond constitué de poutrelles de fer garnie de petites briques rouge a très bien résisté. Et par chance ce n’était pas une bombe incendiaire mais une soufflante et cela fait énormément de dégâts matériels.

Nous étions tous couchés à plat ventre sous nos couvertures dans un vacarme épouvantable.

Au cours d’une accalmie le gardien est venu nous ouvrir pour porter les premiers secours car la laiterie, située en face de notre baraque, était presque rasée avec son patron (Le Père Shutze âgé de 70 ans) et son épouse pris sous les décombres.

Après une heure d’efforts nous avons pu les dégager (c’était des gens aimables envers les Français).

Des jeunes bovins et un cheval avaient été tués.

Dès le lendemain tout le monde s’est mis au travail pour déblayer les gravats et quelques mois plus tard une jolie maison neuve avait été reconstruite à sa place, la laiterie réparée et à coté, nous fûmes dotés d’une nouvelle baraque en planches de sapin qui nous abritera jusqu’à l’arrivée des Russes le 22 avril 1945.

Quasiment toutes les nuit nous pouvions jouir du même spectacle ; fusées éclairantes, projecteurs, tirs de D.C.A., grappes de phosphore etc. Parfois c’était superbe, nous passions des heures à regarder le ciel en feu et quand ça se rapprochait trop sur notre région les peureux se sauvaient dans les abris en se faisant traiter de «dégonfleurs» par les autres qui riaient. C’est comme l’orage on s’habitue, d’ailleurs le marché noir se faisait pendant les alertes.

Les sirènes donnaient généralement l’alerte environ trente minutes avant l’arrivée des avions. Cela permettait de se préparer et moi à l’hôtel, j’étais souvent appelé pour descendre les objets de valeur à la cave.

Il m’est arrivé de ne pas avoir le temps de retourner au poste vers mes camarades et me réfugier en catastrophe dans une cave à betteraves. Seul, ce n’est pas gai et on n’a pas toujours le moral.

Dans l’été, les poulinières étant au pré, dès l’alerte terminée le Chef nous envoyait vérifier si de jeunes poulains effrayés ne s’étaient pas empêtrés dans les fils de fer barbelés. Nous faisions cela la nuit et sans lumière, toute lampe étant strictement interdite. Une fois, par une nuit très noire allant faire à bicyclette une commission au Sanatorium, je suis entré en collision avec une infirmière également en vélo qui rentrait de son travail. Cela nous voulu quelques plaies et bosses.

L’année 1941 a été l’une des plus triste car nous n’avions plus aucun espoir de revoir la France. Et peu de nouvelles de nos familles.

Il nous était difficile de nous procurer de la bière.

Un petit café situé en dehors du village acceptait bien de nous en vendre mais il fallait payer avec des marks normaux alors que nous n’avions que des marks propres aux prisonniers de guerre, c’est à dire des coupures qui n’étaient acceptées que dans certains magasins et qui devait nous permettre d’acheter nos objets de toilette.

Notons que pour obtenir un tube de dentifrice, il fallait rendre le précédent tube vide et que nous percevions chaque mois douze marks de prisonnier.

Pour avoir du tabac ou de la bière, il fallait recourir à l’échange et au marché noir.

Pour ce faire nous tendions des collets pour attraper des lapins de garenne, ou encore nous volions nos patrons ; qui de la farine, qui de la viande ou un pneu de vélo, selon qu’il travaillait chez un meunier, un boucher ou un mécanicien.

Pour ceux qui, comme moi, travaillaient dans une ferme, la chose était relativement facile avec le lait et les œufs.

Encore fallait-il se méfier car les patrons avaient leurs repères et même nous tendaient des pièges. C’était au plus malin ! 

Je me rappelle d’un certain camarade BARRAL qui s’occupait des lapins d’une ferme ; de temps à autre il appelait la patronne pour lui faire constater qu’un lapin était crevé.

En fait c’était lui qui l’avait assommé et, au lieu de l’enfouir dans le fumier, il le cachait simplement un peu et le soir le reprenait sous son manteau.

Et nous avons bien rit du camarade LIOUD qui travaillait au moulin et s’occupait également des chevaux, il dissimulait des petits sacs de farine dans le foin.

Un jour, son patron voulant donner un peu de foin à un cheval, pique sa fourche dans un sac et ne pouvant soulever découvre la supercherie.

Il y eu enquête et le Chef des cultivateurs fut alerté. Les Français furent traités de voleurs et le coupable a juré qu’il ne recommencerait plus. Le gardiens lui propose de lui échanger son prisonnier «Non ! s’écrie-t’il je préfère un petit voleur qu’un fainéant !!»

« Privés d’amour au pays de la soif »

Suite...